Judaïsme
Les splendeurs
de Saint-Aignan

 

Michel Gurfinkiel

Un des plus beaux musées jamais consacrés à la civilisation juive vient de s'ouvrir à Paris. Au coeur du Marais.           

Berlin a son "île des Musées" ; Paris a désormais le Marais.

Flanqué d'un côté par le Grand Louvre et de l'autre par l'Opéra Bastille, le vieux périmètre des hôtels particuliers et des échoppes est devenu en une vingtaine d'années un quartier culturel d'une densité exceptionnelle : le promeneur peut passer une journée en­tière - ou une semaine, s'il préfère -entre le musée Victor-Hugo, place des Vosges, et le Centre Georges-Pompidou, à Beaubourg, entre Carnavalet, de loin le plus riche musée urbain d'Europe, et l'Hôtel Salé, dit encore des Ambassadeurs de Venise, consacré à Picasso, sans oublier la Maison in­ternationale de la photographie, près du pont Marie, les antiquaires du village Saint-Paul ou les vitrines des créateurs". Si sa curiosité n'est pas épuisée, il peut encore, depuis quelques jours, visiter le musée d'Art et d'Histoire du judaïsme, qui vient d'ouvrir rue du Temple, à l'hôtel de Saint-Aignan. A moins qu'il n'ait commencé par là.

L'hôtel connu aujourd'hui sous le nom de Saint-Aignan fut construit en 1650 pour le comte d'Avaut, surintendant des Fi­nances de Mazarin et donc pré­décesseur immédiat du fameux Nicolas Fouquet. Autant dire que c'est un palais quasi royal, conçu par l'architecte Pierre Le Muet dans un style "colossal" emprunté à Michel-Ange : larges proportions, quadruple façade soutenue, de bas en haut, par des pilastres sculptés, prodiges stéréotomiques des voûtes, des porches intérieurs et des escaliers. Insérer un tel édifice dans les replis de l'ancien Paris n'allait pas de soi.

Paul de Beauvilliers, duc de Saint-Aignan, acquiert l'hôtel en 1688, le fait mettre au goût du jour. Le Nôtre redessine les jardins. Mise sous séquestre en 1792,la de­meure abrite, à partir de 1795, la mairie de ce qui était alors le 7' arrondissement. C'est là que Napoléon Bonaparte et Joséphine de Beauharnais se marient civilement en 1796. A partir de 1842, le dé­clin s'accélère, comme dans tout le Marais. Atget le photographie à la fin du XIX` siècle, au moment où y vivent de nombreux artisans juifs, originaires d'Alsace, de Po­logne et de Russie : pauvres silhouettes grises le long des murs noircis. En 1942, presque tous les habitants sont déportés.

 Vingt ans plus tard, alors que le Marais, sauvé par Malraux, connaît un renouveau spectacu­laire, l'hôtel est acheté par la Ville, qui y installe plusieurs dépôts d'ar­chives. En 1986, Jacques Chirac, alors maire de la capitale, décide de l'affecter au musée d'art et de civilisation du judaïsme dont la mise en place fait l'objet de négo­ciations ardues entre la Ville, l'Etat et diverses institutions commu­nautaires. L’association chargée de N gérer le musée juif est créée en 1988. Il faudra dix ans de travaux, sous la direction de Bernard Fonquernie, pour achever la restauration des bâtiments et réaliser les infrastructures muséologiques.

 [Extrait de Valeurs actuelles du 5 décembre 1998]